Car enfin, c’est certes agréable d’inviter Paulette et quelques autres amis pour … de longues virées à vélo (qu’alliez-vous imaginer ?), mais lorsqu’on manque un peu d’endurance, que se profile une bonne côte et que le reste du groupe, peu à peu, vous distance, on se sent finalement un peu tout seul sur sa machine…
Heureusement, il existe un engin permettant d’ahaner de concert, de partager avec l’âme sœur sueur, souffrance et mal de cuisses. Une bécane avec laquelle finir à pieds jusqu’au sommet, humiliés, certes, mais à deux : j’ai nommé le tandem.
Un peu d’histoire :
L’idée d’enfourcher à deux le même engin naquit avec le grand-bi. A partir de 1868, date du premier brevet connu, les ingénieurs conçurent d’étonnantes machines à deux places et jusqu’à quatre roues (dont les « sociables », tricycles à deux places dont Bollée fit en 1896 une version motorisée conservée au Musée des 24H). Les premiers étaient parfois munies d’une double direction, voir d’un cadre articulé.
La forme classique du tandem découle de celle de la bicyclette de sécurité, c’est-à-dire de la bicyclette actuelle ou peu s’en faut, qui détrôna le grand-bi à partir des années 1880. On tâtonna un peu sur l’agencement de la transmission par chaînes ou la place du tandémiste arrière (ou stocker, le cycliste avant étant le pilote ou le capitaine) et le tandem connut un premier engouement mondain dans les années 1890. Emblème éculé de la balade romantique dans la presse bourgeoise de l’époque, les cuisses d’airain de monsieur palliant comme il se doit la fragilité touchante des mollets de madame, il fut occasionnellement érigé en allégorie (grinçante) du mariage.
Avec le XXe siècle, l’intérêt des classes aisées se détourna vers l’automobile, tandis que la bicyclette devenait un moyen de transport de masse. Un temps délaissé, le tandem connut une seconde période faste avec l’avènement des congés payés, remplaça les taxis parisiens sous l’Occupation et concurrença la 4CV pour les vacances de la première décennie des Trente Glorieuses. Ensuite, seconde période d’oubli, avec le « tout voitures ».
Triplettes, quadriplettes et tutti quanti…
A deux, c’est déjà bien. Mais à trois, quatre ou cinq, je ne vous dis pas ! Aussi les ingénieurs des années 1890, qui semblent avoir aimé partager le plaisir, multiplièrent le nombre de places sur leurs engins. Le principe est simple : vous ajoutez autant d’excroissances que vous le souhaitez au tandem original, puis vous terminez par “-plette”.
Ainsi, le public arpentant en 1894 le 1er Salon du Cycle de Paris, découvrit (médusé, comme il se doit) à côté des 37 tandems présentés, deux triplettes (trois places) et une quadriplette (quatre places). Les quintuplettes furent relativement nombreuses, les sextuplettes le furent un peu moins, et on évoque même, mille-pattes rêvé par un entomologiste fou, une ou deux décuplettes. Où donc ? C’est l’évidence même, aux USA.
Arrogance américaine, la décuplette ? Pas seulement, puisqu’une variante roulait en 1895 dans les rues jusqu’alors tranquilles du Mans. En témoigne (scoop!) ce rare cliché pris par Georges Jagot, alors membre éminent de l’Union Vélocipédique de la Sarthe (j’espère revenir dans un prochain billet sur l’histoire de ce club de passionnés de cyclisme, présidé par Léon Bollée lui-même). Si les dix cyclistes sont bien visibles, portés (il faut cela) par dix roues, les entrailles de l’animal mécanique restent hélas bien mystérieuses. Sauf peut-être à rapprocher l’engin manceau d’un modèle de triplette à quatre roues publié en 1893.
Tandems de compet’
Le monde sportif eut tôt fait d’adouber ces drôles de machines, d’autant que les courses de tandems attirèrent vite les foules, friandes de leur aspect spectaculaire. Les albums du photographe Jules Beau, déjà évoqués dans les précédents billets, montrent plusieurs équipages de la fin du XIXe siècle. Quelques-uns se distinguent par leur mixité et surtout par leur art de la juxtaposition de motifs sur leur costumes alignés (nous manquent les couleurs : l’une de ces équipes s’appelait les diables rouges).
La mode en fut toutefois assez brève, (on tentait de la relancer en 1907-1908), mais le tandem ne disparut pas pour autant des pistes. Montés par les entraîneurs, il servit longtemps à ouvrir la piste devant les cyclistes cherchant à battre des records de vitesse et profitant de l’aspiration générée : les courses de demi-fond étaient nées.
Tandems à moteur
C’est même dans ce rôle d’ouvreur de piste que le tandem connut l’une de ces dernières évolutions majeures : l’adjonction d’un moteur. Dès 1898, Pingault mit au point un tandem à assistance électrique et en 1901 Robl montait un tandem à pétrole. Les entraîneurs pédalaient moins, le coureur profitait d’une aspiration plus grande (et des gaz d’échappement), et gagnait en vitesse. Finalement, le tandem perdit également ce match au profit de la motocyclette.
Le suicide du tandem… au salon de l’auto.
Il m’est difficile d’achever ce petit tour de tandem sans évoquer l’exploit réalisé le 15 août 1909 par Mme Garnier et M. Peyrusson à l’occasion du meeting international de l’Auto. Un saut de la mort en tandem dans la Seine, depuis le pont de Puteaux, comme un dernier coup d’éclat d’une bécane alors en train de passer de mode… provisoirement.
Tandem classé X
Sans commentaires, si ce n’est que c’est bien l’angle inférieur droit de l’estampe du célèbre caricaturiste Jean Véber qu’il faut regarder…