Telle est la profession de foi qu’affichèrent les journalistes Paul Rousseau et Pierre Giffard en une du premier numéro du Vélo Français – le journal quotidien de la vélocipédie, daté du 29 novembre 1893. Notons au passage que le premier fut le créateur de l’Argus et l’un des co-fondateurs des 24 h du Mans, et que le second initia de nombreuses courses cyclistes (dont le Paris-Brest-Paris) et fut l’auteur, ou au moins le propagateur, de l’expression « petite reine »… Rien que cela.
L’illustration montre bien sûr le coureur et le cyclotouriste, adorant le saint cycliste à monocle juché sur un vélo (sans freins, Dieu protège les adeptes du pignon fixe). On y découvre également le marchand : la gravure est anglaise, le vélo est alors en plein « boum » et l’Angleterre le premier pays producteur de cycles. Enfin, LA cycliste est la seule à bénéficier d’une petite légende revendiquant, comme les championnes de la Belle Époque précédemment évoquées, émancipation et libéralisation vestimentaire.
Parmi les sectateurs de saint Vélo, on pourrait également citer l’écrivain Alfred Jarry, auteur en 1903 d’une savoureuse parodie intitulée La Passion considéré comme une course de côte, ou encore Henri Desgranges, fondateur du Tour de France, qui évoquait en 1911 la « divine bicyclette ». Cependant, la dévotion de la masse cycliste se porta de préférence sur Saint Christophe, patron des voyageurs en tous genres, figuré sur certains timbres de vélo (dont une aperçue dans le stock de l’atelier de Cyclamaine), et surtout sur la Vierge.
Car c’est bien, en effet, à la Reine du Ciel que se porta la gratitude de ces dévots à deux roues, miraculés après une malencontreuse rencontre avec le diable automobile, qui offrirent la collection d’ex-voto repérée par le Service de l’Inventaire de la Région PACA. Cette amusante panoplie de chutes spectaculaires suffit à se convaincre que le port du casque, à défaut d’intervention divine, est indispensable.
Pour conclure, on en vient à s’interroger sur la position de l’Église catholique au sujet de la bicyclette au tournant du XXe siècle. Selon le long article de Philippe Rocher paru en 2000 dans la Revue Le Mouvement social, rien ne fut simple. Pour résumer (très fortement), si le cyclisme fut assez vite pratiqué dans les patronages et organisations pour la jeunesse, on lui reprocha longtemps d’être un sport individualiste, procurant aux fidèles l’occasion de déserter les églises le dimanche et aux jeunes gens de se rencontrer loin des regards parentaux.
L’idée d’un clergé à bicyclette fut encore plus controversée. Tout en reconnaissant son utilité en milieu rural, le futur pape Pie X écrivait en 1893 : « Rien ne me semble en effet plus contraire à la dignité que de s’asseoir à califourchon sur une machine de cette sorte » et un évêque français ajoutait en 1901 « je n’aime pas voir un prêtre sur cette machine, soufflant, ahanant, la soutane relevée, faisant aller ses pieds comme un rémouleur ». Pour autant, une large partie du clergé reconnut les bienfaits de saint Vélo et, passée la Première Guerre mondiale, l’image d’Épinal montrant un curé façon Don Camillo, parcourant sa paroisse à bicyclette, s’était bel et bien imposée.